ÉCRITURE

ALZHEIMER SOCIAL chronique gossage

ESSE no.47 (hiver 2003)


CHEZ-NOUS ?
(à Armand le géant)

– Salut Gio, comment va ton poêle?
– Comme ton toit. Toi?
– Moi, ça va pas si tant pire, mais c’é l’reste du monde qui m’va pas.
– Comment ça?
– Bin y m’semble que j’me suis déjà senti chez nous, pis là, je l’sé pu trop, c’é comme si j’étais étranger chez moi.
– Comment ça?
– Bin, les choses changent dans ma maison. On dirait qu’les meubles sont pu à la même place, pis y ont été changés sans qu’on m’en parle. Encore pire, les pièces changent de place.
– Comment ça?
– Bin, dé fois, j’ai le goût de me r’poser, mais j’arrive pas à trouver ma chambre. Dé fois, j’ai faim pis j’arrive pas à trouver la cuisine.
– Comme si t’étais devenu aveugle?
– Non, parce qu’un aveugle est capable de se retrouver chez eux. Quand t’é chez vous, tu sé au moins ousqu’y é ton lit.
– C’é vrai que quand tu trouves pas la cuisine pis la chambre à coucher, on peut pas dire que t’é chez vous.
– Y a pas juste ça.
– Quoi donc?
– Bin, y m’semble que les pièces rapetissent de plus en plus.
– Tu t’trouves grand?
– Oui, trop grand, mais pas juste moi, tout l’monde. On é une race de géants pis on voudrait nous faire vivre dans une maison de nains. C’é rendu qu’être grand c’t’un handicap. Pis c’é rendu qu’y a plein de géants qui se laissent rétrécir parce qu’on leur fait accroire qu’y vont être plus heureux p’tits. Moi, j’me sens encabané, en cage, j’étouffe. Mais c’é pas tout.
– Comment-ça?
– Y a aussi mon garde-robe qui a changé sans qu’on m’en parle. Je r’garde dans mes tiroirs pis y a juste des vêtements trop p’tits pour moi. En plus, y affichent une publicité. J’mets ça pis j’ai d’l’air ridicule.
– Bin réveilles-toi, sors d’la maison, va à l’extérieur.
– L’extérieur est de moins en moins vivable, l’air devient de plus en plus opaque, l’eau est de plus en plus lourde, y a des trous dans le ciel, la nourriture est transformée, empoisonnée. Les terres ont toutes été vendues. On se r’trouve à la fin du jeu de Monopoly. Les hôtels sont tous en place. Faut surtout pas tomber sur la Promenade ni sur Place du Parc.
– Ni sur les verts, ni sur les jaunes.
– À un moment donné, peu importe où tu tombes, t’é sûr de pas pouvoir te r’lever. Tout c’que tu souhaites, c’é d’avoir la chance de passer trois tours en prison.
– De toute façon, on sait qui qui va gagner.
– En plein ça. Ça tente pu à personne de jouer sauf au vainqueur.
– Mais là, si tout le monde est battu, le gagnant peut pu jouer tout seul? Qu’est-ce qui va arriver?
– Bin, j’imagine qu’y va vouloir profiter de sa victoire, mais vu qu’y é tout seul, ça peut pas durer bin bin longtemps.
– Fa que?
– Connaissant l’humain, y a quelqu’un qui va proposer un nouveau jeu.
– Bin tabarnak, j’espère que l’monde vont pas encore tomber dans l’panneau. Moi ch’t’écoeuré d’ jouer. On est-tu obligé de jouer? Ça fait des millénaires qu’on joue pis c’é toujours le même jeu même si y change de nom. R’garde ousqu’on é rendus. Moi, j’joue pu, mangez toutes d’la marde. Chu pas né pour gagner, chu pas né pour perdre, chu pas né pour me battre, chu pas né pour me mesurer.
– Qu’est-ce que tu vas faire?
– Je l’sé pas, chu fatigué, j’irais m’coucher mais j’trouve pu mon lit.