ÉCRITURE

ALZHEIMER SOCIAL chronique gossage

ESSE no.25 (automne 1994)


ACTE 14
(Y é 8 heures du matin, Djo s’en va prendre une p’tite bière à taverne du coin. Y fa beau, et quoi de plus intéressantà matin que d’essayer d’se taper une p’tite jazette avec n’importe qui, en se stônant tranquillement la bette avec d’la bière.)

-Salut, j’peux-tu m’asseoir ici ?
-Pas vraiment, chu bin tout seul, prends-toi une autre table, y en a plein.
-Sacrament ça commence bin. J’peux-tu t’parler au moins ?
-Qu’é çé que tu penses que t’é t’en train d’faire ?
-Calvaire, un asocial. On s’prépare une belle p’tite avant-midi plaisante. Asocial ou antisocial ?
-Tu veux parler de t’ça ? Bin parfait, attache té bretelles. Étant donné que j’ai une conscience sociale, j’me dissocie des membres de la société qui en ont pas, donc d’la presque totalité dé gens.
-Avoir une conscience sociale,c’é-tu aimer et prendre en considération le monde AVEC lesquels on vit, ou bindonc, aimer et avoir une considération pour le monde DANS lequel on vit ?
-C’é vouloir changer le monde dans lequel on vit, pour le monde avec lesquels on vit, en changeant le monde avec lesquels on vit, pour améliorer le monde dans lequel on vit.
-Fa que dans l’fond, t’aimes le monde ?
-Quand t’aimes quelqu’un, tu veux pas l’changer.
-Bon bin, j’pense que j’va m’tapper une p’tite bière, mettons tablette.
-C’é Djo ton nom ?
-La plupart du temps.
-Bin, salut Djo. Tu peux t’asseoir ici si tu veux.
-T’as poigné l’gulf stream ?
-Bof !
-M’a t’conter d’quoi. Quand qu’Michel-Ange y a faite son David en quatorze ou en quinze cents, j’imagine que ça dû faire un chiar, je l’sé pas, mais en tout cas, aujourd’hui, y a cinq dix ans de t’ça, dans l’est de Montréal, y ont faite un centre d’achat, j’me rappelle pus du nom, tsé avec une tour de Pise. Bin, y ont mis une reproduction du David à l’intérieur.Tu l’croiras pas,y a eu tellement de protestations parce qu’il avait le pénis à l’air, qu’y ont été obligé d’enlever la sculpture. À cause des enfants supposément, ou ché pas trop quelle niaiserie. Tu trouves pas que de tous les temps y a eu du monde qui voulait changer le monde, pis y va y en avoir encore, pis y a absolument rien qui change ? Ou si ça change, c’é pour le pire ?
-Oui.
-Bin, qu’est-ce que t’as à vouloir essayer d’changer lé affaires ?
-Je l’sé pas, c’é comme ça chu faite, chu comme une molécule qui a une vie pour se rendre à une place, ou pour bouger d’une telle façon.
-Donc, t’é pas vraiment une être pensant ?
-Un être pensant qu’y pense.
-Pis une molécule, c’tu pensant ?
-Probablement, mais là, c’é dur à dire. On a bin dé contacts ensemble, mais c’é assez rare qu’on parle de t’ça. Ça s’rait un bon sujet à parler avec mes molécules.
-Tu penses-tu qu’y prennent d’la drogue ?
P’t’être un p’tit verre une fois d’temps à autre, comme nous autres, pour oublier.
-Ha! Ha! Ha! De toute façon, même si y oublient ousqu’y vont, y vont y aller pareil.
-Parlant d’bouger, p’t’être que j’bougerais moi.
-Bin justement, j’ai d’quoi à t’proposer.
-Vas-y.
-Bin, j’me cherche un modèle, quelqu’un qui accepterait de s’faire mouler.
-Tout nu ?
-Tant qu’à faire.
-
-
-Un ange passa ?
-Michel-Ange passa.
-Dakar.
-Parle-moi de t’ça. Nous autres, on passe-tu à la régie ? C’é su’l ch’min d’l’atelier. Qué c’é qu’tu veux boire ?
-Bin , y m’semble qu’une p’tite grappa, ça s’rait de mise.
-Certo. Ho sete.
-Mi anche.
-Commo si chiama ?
-Giovanni.
-Va bene.

ACTE 15

(À l’atelier)

-Djo-o ?
-Quoi Giovanni ?
-Appelle-moi Gio.
-Dakar Gio.
-Y faut-tu j’me rase ?
-Pas vraiment, on va mouleravec t’sé c’que les dentistes prennent pour prendre les empreintes dé dents. Sec, ça garde une élasticité, pis ça poigne pas beaucoup dans l’poil.
-Bon binparfait, on commence par quoi ?
-Par la grappa.
-Ha! Ha! Ha! Dakar, on commence.
-Hey ! Djo, t’é-tu déjà allé à Florence ?
-Si signore.
-T’as-tu attrappé la maladie… t’sé, le syndrôme de…comment qu’y s’appelle ? Ça commence par Stan…Sten…ou qu’ette chose comme ça.
-Le syndrôme de Stan Labrie ? Non ? Stan Mikita peut-être ?
-Niaiseux ! En tout cas, peu importe, c’é un genre de dépression qui t’arrive parc’que tu vois trop de belles affaires.
-Bin voyons donc toi, tu vas-tu mouler la poignée que j’ai dans l’dos aussi ? Tu tomberais malade parc’que c’é trop beau autour de toi ? Bin sacrament, ça risque pas trop d’nous arriver dans l’boutte.
-J’comprend maintenant pourquoi qu’y voulaient pas du David au centre d’achat. C’t’à cause d’la maladie.
-Ha! Ha! Ha! Bin oui, en plusse qu’aujourd’hui, pénis pis maladie c’é synonyme.
-Bon bin, Gio, mine de rien, le moule é sec. Tu peux t’enlever.
-Calvaire ça bin été.
-Oui, pis l’moule é parfait. M’a tu d’suite faire le positif de c’te partie-là.
-Pis, on moule-tu une autre partie de corps aujourd’hui ?
-Y faut s’garder d’l’ouvrage pour demain.
-Ha! Ha! Ha! Ha!
-Ha! Ha! Ha! Bon bin, amène la bouteille de grappa.
-Con piacere. Sauf que.
-Quoi ?
-Y en reste presque pus.
-Ça parle au yâbe ! Faut r’tourner à régie.
-Comme dirait l’autre : La vie, c’t’un éternel recommencement.