ÉCRITURE

ALZHEIMER SOCIAL DANS ESSE sous la chronique GOSSAGE (printemps-été 1995)

Esse #26


Je suis allé à Valencia en Espagne en 1989 et je suis tombé par hasard sur une fête grandiose qui m’est apparue comme étant la plus grosse manifestation sculpturale au monde, LAS FALLAS.
Cette fête m’a touché au point que j’y suis retourné en 1996 et ce n’est pas, j’espère, la dernière fois que j’y aurai assisté.
Elle est très connue et courue en Espagne et un peu dans le reste de l’Europe, mais ne l’est pratiquement pas en Amérique.
C’est pour cette raison que j’ai pensé, en y retournant la deuxième fois, à me munir d’une caméra, d’un magnétophone et de prendre des notes pour me permettre d’en réaliser un document.
J’ai choisi de présenter ce dossier sous la forme d’une petite pièce de théâtre. Cela m’a permis de parler de mes deux voyages et en quelque sorte de les entrecroiser pour n’en faire qu’un seul. Permis aussi d’y insérer les renseignements sur Las Fallas pris ici et là, grâce à des rencontres provoquées ou dues au hasard, et dans des fascicules, des journaux, des livres et dans différents sites internet traitant du sujet, tout en me permettant d’y ajouter mes émotions et mes impressions.

Il comprend une entrevue avec l’artiste fallero Agustín Villanueva.

Merci à Eva Quintas qui a grandement participé au travail de traduction des sources écrites en espagnol.
Merci aussi à Brisca, Jesús, Juan, Brando Méndes,
Dominique Chantereine.

(Pour celles et ceux sont familiers avec la chronique de cette revue intitulée Alzheimer Social, vous retrouverez les deux personnages Djo et Gio, ces deux gosseux toujours prêts à lever le coude en s’échangeant leur façon particulière de voir la vie et l’art. Alors, joignez-vous à nos deux amis et bon voyage.)

D—Gio?
G—Quoi?
D—J’ai les bleus. J’viens d’faire un coup d’argent, puis j’vais partir.
G—Ah! Oui, pour où?
D—L’Espagne. Ça fait tellement longtemps que j’veux aller là.
G—Pourquoi l’Espagne?
D—Disons que j’ai envie de voir des choses différentes.
G—Dans ce cas-là, pourquoi pas plutôt un pays d’Asie ou d’Afrique?
D—Pour l’instant, c’est l’Europe qui m’attire, mais en même temps, je cherche un dépaysement. L’Espagne, c’est différent des autres pays d’Europe. Je l’sais pas si c’est dû au tempérament espagnol comme tel ou à cause de la très longue occupation arabe.
G—Ah! Oui? Combien de temps?
D—Plus de sept siècles. De 756 à 1492.
G—En tout cas, on le ressent beaucoup dans leur musique.
D—Oui, et pas seulement dans la musique. Écoute, j’vais t’en dire une bonne: le sable de la Costa Blanca, en grande partie, ce sont les Arabes qui l’ont transporté-là en bateau.
G—Mais, dis-moi, t’aimerais partir quand?
D—Ce soir.
G—T’es vraiment décidé?
D—Oui.
G—Bon, j’vais aller te r’conduire à Mirabel.


Acte 2 EN AUTO VERS MIRABEL
Dimanche soir, le 10 mars

D—Gio, tu parles-tu l’espagnol?
G—Disons que j’me débrouille. Toi?
D—Presque pas.
G—Comment tu vas faire?
D—Bien, j’ai un dictionnaire et des mains. Puis j’vais surtout regarder. Sais-tu ce que j’aimerais voir? Une corrida.
G—Moi, ce qui m’attirerait en Espagne, c’est le flamenco.
D—Bien, viens avec moi, Gio. En plus, tu parles la langue.
G—Ça m’tente.
D—Pour vrai?
G—Si señor.
D—Embarque Gio, on va faire le plus beau des voyages.

Et, en toute amitié, il lui donna une p’tite bine sur l’épaule.

Acte 3 AÉROPORT
Dimanche soir, le 10 mars

G—Djo, où on va?
D—Bien, en Espagne.
G—Je l’sais bien, mais où?
D—À Madrid. Viens, y faut qu’on te trouve un billet.

Une heure plus tard, tous les détails techniques sont réglés et nos deux moineaux s’envolent.

G—Ta valise est pesante.
D—Ça fait longtemps que j’planifiais un voyage en Espagne, j’savais pas quand j’pourrais partir, mais j’ai ramassé plein de documentation, toutes sortes d’affaires, puis j’ai tout amené.
Acte 4 EN AVION
Nuit du 10 au 11 mars

G—On est sur Ibéria, Djo.
D—Oui, les Ibères. Je r’gardais l’autre jour dans un livre, puis on disait que c’était un peuple probablement originaire du Sahara. À la fin du néolithique, ils ont occupé la plus grande partie de ce que l’on appelle aujourd’hui l’Espagne et le Portugal. D’où le nom de péninsule ibérique. Au contact des Grecs et des Carthaginois, une brillante civilisation ibérique s’épanouit jusqu’à l'arrivée des Romains qui, de 218 av. J.C. aux deux premiers siècles de notre ère, ont participé grandement au développement du pays.
G—Ça veut dire que quand les Arabes (les Maures) ont envahi l’Espagne, c’était pas la première fois qu’on faisait une montée venant du sud.
D—Ç'a l’air que non.
G—Djo, on va atterrir à Madrid, mais y a-tu des places que t’aimerais particulièrement voir en Espagne?
D—Je l’sais pas, on peut r’garder ça un peu. J’ai une couple de petits guides avec moi.
G—Sors ça qu’on s’enligne. Sais-tu ce qui m’tenterait, moi?
D—Quoi?
G—Bien, y m’semble qu’on pourrait aller dans une ville où y a une fête ou un festival ou quelque chose de vivant. L’Espagne, ça me fait penser à la fête.
D—Bien d’accord, Gio. On est quelle date?
G—Le 10 mars.
D—Attends, on va voir ça. Non, y a rien en mi-mars, toutes les fêtes sont en avril, pour Pâques. Tiens donc, attends un peu, oui, à Valencia (Valence), à toutes les années, du 12 au 19 mars.
G—C’est quoi la fête?
D—Bien, y disent pas grand-chose. Le 19 mars, c’est la fête de saint Joseph, puis y disent que c’est une fête populaire. Ça s’appelle Las Fallas.
G—Ça t’tente-tu?
D—Bien sûr, ¿porque no?
G—Mon tabarnouche, tu parles espagnol?
D—Juste quelques mots.
G—Dis-moi, Djo, tu penses pas que ça risque d’être plate, si c’est une fête religieuse?
D—Gio, ça a probablement rien à voir avec la religion. J’te gage que c’est une fête où les adolescents s’enlignent pour perdre leur Josephté ou une fête de menuisiers, je l’sais-tu moi? Mais chose certaine, vu qu’on est
en Espagne, c’est sûr que ça devrait être surprenant.
G—D’accord. Ça fait qu’on passe la nuit à Madrid, pis demain, on saute dans l’train ou l’autobus pour Valencia.
D—Parfait.

Señoras y señores, sobrevolamos actualmente el Aeropuerto Internacional de Madrid. Hagan el favor de abrocharse el cinturón...

DOSSIERS

LAS FALLAS

EXIT